EN RÉSIDENCE DU 03 mai au 12 juin 2022

ANDRÉE-ANNE DUPUIS-BOURRET

L’artiste jardinière.

Quelques heures après l’arrivée d’Andrée-Anne Dupuis Bourret chez Adélard, voilà que le printemps s’est installé dans la grange, verdoyant, parfumé et foisonnant. Chaque matin, comme un rituel, l’artiste jardinière arpente son territoire, fait le tour de ses plantations, asperge d’eau tiède laitue, oseille, avoine, alchémille et plantes aromatiques. Elle se penche sur ses gloires du matin, cosmos, capucines, pensées et zinnias espérant y voir apparaître de nouveaux bourgeons. Elle ajoute un peu de terreau à la noix de coco dans les pots de romarin et chacun fait son petit tour à l’extérieur, jour de soleil et jour de pluie. Les gens de la communauté lui offrent des spécimens pour prendre part à son projet: herbe aux coqs, sauge, cactus, aloès, monsteria, œillet d’Inde et celosia.

Ici, les différents emballages d’épicerie, bouchons de cannettes de bière, cordelette, sacs de plastique, etc., font œuvre utile. À partir de déchets, l’artiste transforme. Alvéoles, feuillages, plantes, algues ou bosquets deviennent des paysages réinventés, accueillants,  parfois étranges. Avec des gestes patients, répétitifs, rassurants, elle prépare son matériel de création. Minutieusement classé, organisé, prêt à être assemblé, elle n’a plus qu’à piger dans ses provisions pour créer une nouvelle installation. Une fois l’expo terminée, le matériel servira à nouveau, autrement. Les éléments retourneront dans sa matériauthèque, sorte de magasin général à sa disposition. Ça lui vient de son père : récupérer. Il est l’un des pionniers au Québec du recyclage plastique. Elle a même pu tester le premier prototype du bac individuel, celui que nous connaissons aujourd’hui. La récupération fait partie de son mode de vie et dès ses débuts comme artiste en arts imprimés, elle l’a intégrée à sa démarche artistique. Ces petits objets bricolés, multipliés, une fois rassemblés prennent de l’ampleur, deviennent sculpture. Le petit dans le grand.

Durant son séjour chez Adélard, elle visite les fermes maraîchères de la région pour trouver de l’inspiration, prendre des photos pour ses archives. Ce sont les lieux, le savoir-faire, l’outillage, les jeunes pousses autant que les grands arbres qui suscitent son intérêt. À la coopérative Au Pied de Céleri de Dunham, il ventait tellement ce jour-là, que les toiles blanches horticoles qui recouvraient les semis ballotaient au vent, ondulaient comme des déferlantes. Un spectacle unique qu’elle a immortalisé sur vidéo et qui se retrouvera peut-être dans l’une ou l’autre de ses expositions. Elle passe un après-midi au Jardin de la Grelinette de Saint-Armand, cette microferme biologique devenue une référence mondiale de l’agriculture à petite surface. Maude-Hélène Desroches, propriétaire du beau jardin avec Jean-Martin Fortier, lui fait faire le tour des lieux. L’artiste est enchantée : « tout est organique, en symbiose, naturel, habité, cohérent ».  Aux Jardins de Tessa, ferme spécialisée dans le légume de conservation, elle est impressionnée par la grandeur de l’exploitation et par leur méthode de culture. La forêt derrière, tapissée de fougères, lieu d’exploration pour une éventuelle culture de champignons, l’interpelle tout particulièrement, lui inspire de nouvelles couleurs… Chez Floramama, la petite ferme florale écologique de Frelighsburg, elle se balade à travers les rangées de tulipes et les plantations d’asters, calendules et centaurées, les premiers poèmes de la saison. C’est comme ça qu’on les appelle, les fleurs de Floramama. Tant de beauté lui donne des idées. « Certaines variétés de fleurs sont plus lentes à pousser. C’est l’idéal. Elles sont plus stables. Ça facilitera leur intégration à mon travail » dit-elle, enthousiaste à l’idée de voir la vie fleurir dans l’une de ses prochaines oeuvres.

Sa résidence chez Adélard lui a permis de conjuguer, dans le même espace, ses deux passions : l’art et l’horticulture, privilège pour observer l’effet que cette combinaison produit sur elle et sur les visiteurs de passage à la grange. Comment la présence du vivant, ses plantes qui évoluent au fil des jours, peut influencer sa propre perception de la vie ? Comment le vivant peut cohabiter et s’intégrer dans son travail artistique ? Papier, carton, plastique, ces matières récupérées avec lesquelles elle travaille ne demandent ni eau ni terre, que l’imaginaire pour exister. L’artiste n’en manque pas. Elle est aussi fertile que son jardin. Ce qu’elle aura pu explorer ici à la grange prendra forme dans une prochaine installation. Vrai, faux, vivant ou représentation s’uniront tout naturellement ?

Tout au long de sa résidence, Tiger le chat allait et venait à sa guise dans la grange. Il se faufilait dans le décor avec tant d’harmonie qu’on avait l’impression qu’il faisait partie de l’installation. Il est venu dire au revoir à sa colocataire. La grange désertée de sa forêt et de ses parfums perd de son intérêt. D’un air indifférent, Tiger repart à la chasse aux oisillons et aux petits mulots. L’artiste retourne dans son atelier de Chambly, son refuge, son pays des merveilles habité par plus d’une centaine de plantes et de fleurs.

Professeure en arts visuels et médiatiques de l’UQAM, Andrée-Anne Dupuis Bourret est aussi commissaire invitée sur différents projets d’expositions dont Faire communauté, l’imprimé qui rassemble, présentée à la Maison des Arts de Laval. Ce collectif en art d’impression regroupe une dizaine d’artistes dont trois qui sont particulièrement chères à Adélard, les anciennes résidentes Jacinthe Loranger, Emmanuelle Jacques et Anna Jane Mcintyre. À ne pas manquer en novembre prochain.

Isabelle Hébert

Crédit photo : Laurence Grandbois-Bernard