EN RÉSIDENCE DU 19 mars au 30 avril 2023

AUDREY BEAULÉ

Comme un ruisseau tranquille.

À la mi-mars, pendant qu’une neige mouillée tombait doucement sur le village de Frelighsburg, Adélard recevait Audrey Beaulé, la première personne en résidence de la saison 2023. Par respect pour sa position identitaire, je lui demande de m’apprendre les rudiments de l’écriture inclusive, exercice pas toujours évident avec les adjectifs, les conjugaisons et une langue française particulièrement genrée. Iel me donne des exemples : «Auteur», qui avec le mouvement féministe est devenu « autrice » se dit « auteurice » pour les non binaires. De façon naturelle, toute en simplicité et en gentillesse, Audrey me parle de pluralité, de tolérance, mais aussi d’art et de littérature, de ses nouveaux voisins de palier, du Beat&Betterave où iel aime déjà aller y prendre son café.

Le-la plus jeune de nos artistes à ce jour, un bac en design graphique, puis une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’UQAM tout juste complétée, c’est iel qui inaugure l’atelier de Dunham, un tout nouvel espace temporaire qui s’ajoute à la grange Adélard. Pour se rendre au 2e étage du bâtiment patrimonial Le Relais de la Diligence, au-dessus de la Brasserie Dunham, Audrey voyage sac à dos sur l’épaule et pouce levé. Il y a toujours quelqu’un qui s’arrête pour l’emmener d’un village à l’autre. En ouvrant la portière, avant d’entrer, iel se penche et s’adresse au chauffeur: « Bonjour ! Vous allez bien ? » dit-iel avec sa voix douce et apaisante comme un ruisseau tranquille. En chemin, elle ne manque pas l’occasion de les inviter à son exposition prévue cet automne à l’église Bishop de Frelighsburg. Pour cette exposition, Audrey poursuit sa réflexion sur l’histoire de l’abstraction au Québec et sa résonnance avec le mouvement queer: « L’abstraction, tout comme la théorie queer, s’émancipe des frontières établies» résume t-iel avec assurance. Pour souligner les 75 ans de Refus global, Audrey a choisi dans la prestigieuse collection de Loto-Québec, une quinzaine d’œuvres d’artistes qui ont signé le fameux manifeste. D’autres artistes contemporain·es, dont l’approche artistique fait écho à cette effervescence des années 50, seront aussi intégrés à l’exposition nommée il existe de ces feux intérieurs qui illuminent des continents. Le titre évoque la passion, la fougue, la vitalité que l’on porte en soi au moment de la création et qui, parfois, rejaillit sur le reste du monde. Inspiré·e par ces artistes libres et audacieux qui ont exploré de nouveaux territoires, repoussé les limites de l’expression figurative pour les faire basculer du côté de l’abstraction, iel présentera également quelques-unes de ses œuvres, grandes fresques lumineuses. À genoux sur le plancher en bois de l’atelier, équipé·e de genouillères, crayons de couleur à portée de main, deux grandes toiles fixées au sol, iel passe de l’une à l’autre selon son humeur. Avec des gestes posés, patients, iel dessine de petits traits fins; on dirait des plumes ou des feuilles de saule muées par une brise. Animé·e d’une ferveur discrète, d’un désir profond de suivre son propre chemin malgré vents et marées, la création est son équilibre. C’est aussi un lieu intérieur où iel a trouvé asile. L’une des toiles est terminée. L’ensemble est doux, fluide, harmonieux.

Artiste multidisciplinaire; poète, photographe, designer graphique, peintre, bédéiste, iel aime particulièrement l’écriture, le livre sous toutes ses formes. En 2020, Audrey publie La vingt, un récit émouvant qui raconte la traversée parfois houleuse et compliquée du passage à l’âge adulte. Iel reçoit le Prix Réal-Fillion 2020 pour cette bande-dessinée autofiction. Avec ses propres codes du design graphique, de l’écriture et de l’impression, iel signe le contenu et la mise en page d’un journal conçu expressément pour l’exposition Loto-Québec. Iel y décrit sa démarche, explique le choix des toiles sélectionnées pour l’exposition et le lien qu’elles ont avec la réalité d’aujourd’hui. Iel partage pensées et poésies, publie dessins et fragments de ses œuvres. Espace de liberté, d’interrogation, de réflexion et de résistance, cette « autoédition » est une oeuvre en soi. Elle sera offerte gratuitement aux visiteurs à l’entrée de l’église, dans différents lieux au village et dans les environs. L’accessibilité, le lien avec les autres, fait partie de sa pratique artistique. L’inclusion n’est pas qu’un mot à la mode pour Audrey Beaulé, mais une façon de vivre, de comprendre le monde autrement.

Isabelle Hébert