EN RÉSIDENCE DU 19 octobre au 20 novembre 2022

MANUEL DÍAZ

La lune de novembre.

Manuel Diaz, artiste mexicain d’origine Navajo, s’investit dans son travail comme dans la vie, avec beaucoup de rigueur, d’intégrité et de profondeur. En le regardant aller et venir dans les rues du village, on dirait qu’il a toujours vécu ici, qu’il est en phase avec la lune de novembre, la lune givrée comme on l’appelle, celle qui inaugure l’arrivée imminente de l’hiver.

Pour la réalisation de son offrande à la Fête des Morts, la famille du verger Au cœur de la pomme a spontanément offert le matériel. Et Vincent Deronde, formidable ébéniste de Frelighsburg, n’a pas hésité à donner de son temps pour aider l’artiste à réaliser cette imposante construction en bois, installée au pied de l’autel de la petite église anglicane du village. Comme le veut la tradition, sur le papel picado (décoration de papier dentelé typiquement mexicaine), ont été déposés gâteaux, paniers d’oranges et de pommes, ails et maïs, têtes de morts, bouquets de fleurs, photos des défunts et bougies pour rendre hommage à nos morts. Accompagné de chants, danse et téquila, Manuel Diaz à dédié son œuvre-offrande à la communauté de Frelighsburg, mais aussi à deux grands ancêtres indigènes.

D’abord, Kondiaronk (1649-1701), chef du peuple huron-wendat, fin stratège et brillant orateur, qui a déployé toute son énergie pour convaincre 36 nations autochtones de ramener l’harmonie dans une région où conflit et violence entre Français, Anglais et Premières nations duraient depuis de nombreuses années. Il a joué un rôle incontestable dans la signature du traité de la Grande Paix de Montréal de 1701.

Et Nezahualcoyotl (1402-1472), né et mort à Texcoco, ville située dans la vallée de Mexico qui, sous son règne, était la capitale de l’empire Aztèque. Homme aux multiples facettes, ambitieux et visionnaire, initiateur d’importants combats politiques, il était aussi un grand connaisseur de la pensée de ses ancêtres toltèques. Poète admiré devenu un mythe, il a mis de l’avant littérature et poésie en fondant la première bibliothèque de l’époque précolombienne. C’est dans cet esprit de mémoire, de reconnaissance et de partage que s’est déroulée la Fête des Morts. Au son des tambours chamaniques, des enfants heureux découvraient un rituel d’ailleurs, une cérémonie festive qui rend hommage aux êtres chers disparus.  

Les élèves de 1ère année de l’école primaire de Dunham n’ont pas été en reste, côté bonheur. Durant l’atelier créatif, une fois que les enfants ont terminé de décorer les petites bouteilles d’eau, Manuel les a ensuite projetées dans « l’espace », telles des fusées, à l’aide d’une pompe à vélo. Les applaudissements euphoriques des enfants et leurs cris de joie résonnent encore dans le ciel enneigé.

Manuel Diaz s’inspire de l’astronomie, de la philosophie, de la science, de l’art et du mysticisme pour alimenter sa réflexion sur notre relation avec le cosmos. Sa démarche artistique, empreinte de recherche spirituelle, propose un regard à la fois critique et poétique sur le sens de notre présence sur terre et de notre relation avec l’au-delà. Dans une série de vidéo intitulée SOY, réalisée antérieurement, il explore le lien entre l’humain, la planète Terre et l’univers. Dans l’une de ces courtes réalisations, il utilise des archives de la NASA de la planète Mars pour partager sa réflexion sur les impacts engendrés par les activités spatiales. Dans une autre vidéo, c’est à partir de sa propre conscience et de son propre corps qu’il évoque la lune, son sujet de prédilection. En représentant les phases lunaires, mouvement en continu, tantôt lumière tantôt obscurité, il parle aussi de l’état du monde ancien et futur, de la vie et de la mort.  

Installé à l’étage du Grammar School, dans ce bel espace vitré, Manuel Diaz a poursuivi son projet de résidence :  Le nombril de la lune, une photo d’un nombril différent par jour pendant 29 jours. Vingt-neuf personnes de Frelighsburg et des alentours ont accepté de se prêter au jeu. En superposant des images du cycle de la lune sur les photos en gros plan, cette série termine son expérience artistique et symbolique. Il n’y a pas un seul nombril semblable ni par sa taille, sa forme, sa profondeur ou son apparence. Cette cicatrice, singulière et universelle, au centre du corps, empreinte de notre naissance, signe incontestable du lien maternel, ne peut que nous rappeler l’origine du monde. Ses œuvres photographiques inédites ainsi que sa vidéo projetée sur un écran géant seront présentées à l’Institut Culturel du Mexique à Montréal où une exposition lui sera consacrée du 26 novembre 2022 au 15 janvier 2023. Manuel Diaz, lui, sera reparti pour Mexico, mais il reviendra. Il a trouvé ici un foyer, un frère et toute une famille, juste là, en haut de la côte.

Isabelle Hébert