En immersion du 1 septembre au 11 octobre 2020

MICHEL HUNEAULT

Michel Huneault (photo : Joannie Lafrenière).

Michel Huneault (photo : Joannie Lafrenière).

À la rencontre de l’autre 

À Saint-Jérôme, petite ville des Laurentides, l’adolescent curieux et bouillonnant traîne son ennui, erre avec ses copains dans la fadeur d’un quotidien sans surprise. Un jour de canicule où même la slush rouge du dépanneur ne rafraîchit plus, il ouvre la télé. C’est l’émission La course autour du monde. Une brèche vient de s’ouvrir. Il rêve d’ailleurs, de pays lointains, de cultures exotiques. Il s’inscrit au programme Jeunesse Canada Monde et quitte son coin de pays où il a grandi pour vivre plusieurs mois dans le petit village de Chambas au centre de Cuba, loin des plages et des touristes. Cette expérience humaine, riche et intense, le transforme radicalement. Au retour, il décide de continuer son engagement en développement international. Pendant une dizaine d’années, il travaille pour différents organismes dont l’ACDI, séjournant dans une vingtaine de pays dont une année entière à Kandahar, en Afghanistan. Il ajoute à sa formation des études supérieures en paix et résolution de conflits à l’Université de la Californie à Berkeley. Au cours de ses expériences, sa démarche s’approfondit. Partir à la découverte de l’autre, comprendre sa réalité est devenu un mode de vie.

Témoin de différentes situations tragiques dans le monde, souvent douloureuses et complexes, il ressent le besoin d’investiguer autrement, de transposer son action sociale à travers un médium artistique. Il devient étudiant, apprenti et assistant de Gilles Peress (Magnum Photos) à New York avant de se consacrer entièrement à la photographie documentaire et aux arts visuels contemporains en 2008. La photographie devient son nouvel outil de recherche. Elle lui permet d’explorer, à travers son objectif et sa sensibilité, son regard singulier sur les grands enjeux historiques de l’actualité. Avec une approche artistique créative et esthétique, il tente de rendre compte des impacts d’un drame collectif sur l’individu, sur l’être humain au cœur de la tragédie. Comment une population et un territoire écorchés peuvent se reconstruire ? C’est l’une des questions à laquelle il réfléchit durant son travail qui s’échelonne sur de longues périodes. Il reste sur le terrain des journées entières pendant des mois. Il prend le temps d’observer, de bien comprendre les enjeux, d’établir la confiance, de créer des liens. Il est respectueux et discret, et les gens s’habituent à lui, à son appareil photo, à son enregistreur. Il repart, laisse sa réflexion en jachère, revient sur les lieux, observe les effets du temps et les vies brisées qui reprennent racine. La longue nuit de Mégantic, corpus jumelant photographies et histoires orales, débuté 20 heures après l’explosion de juillet 2013 et sur l’année qui suivit est le résultat d’un engagement qui se poursuit encore aujourd’hui. Même approche pour Post Tohuku, l’après-tsunami au Japon qui laissa derrière lui 20 000 morts, ravages et désolation. Deux recherches intimement liées qui se font écho et s’alimentent l’une l’autre. 

oeuvre photographique tirée de la série Roxham

oeuvre photographique tirée de la série Roxham

oeuvre photographique tirée de la série Roxham

oeuvre photographique tirée de la série Roxham

oeuvre photographique tirée de la série Roxham

oeuvre photographique tirée de la série Roxham

Cinq mois avant sa venue chez Adélard, le Musée McCord a demandé à Michel Huneault de documenter, à sa façon, les premiers impacts de la COVID-19 à Montréal, ce drame collectif aux innombrables conséquences. C’est encore habité par ces images bouleversantes qu’il arrive dans notre région épargnée par le chaos. Confiné dans la beauté d’un paysage aussi magnifique est presqu’un privilège. Il profite pleinement de cet espace vert qui, en cours de résidence, s’est transformé en orangé, vermeille, ocre, jaune et rouille.

Sa série Roxham, présentée chez Adélard, met en lumière le passage des migrants à la frontière à Hemmingford, l’entrée la plus empruntée entre les États-Unis et le Canada depuis l’arrivée de l’administration Trump. Une fois par semaine, pendant six mois, beau temps, mauvais temps, il se rend à la frontière sur le désormais célèbre chemin Roxham. Il attend l’arrivée des demandeurs d’asile. Ils sont seul, ils sont trois, une dizaine, une vingtaine par jour qui arrivent d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine via les États-Unis. Quelques semaines plus tard, ils sont 50 puis 200 migrants par jour dont plusieurs au statut précaire fuyant les nouvelles mesures arbitraires de Donald Trump. Il photographie le moment de l’interception de ces hommes et de ces femmes tenant d’une main serrée celle d’un enfant et de l’autre, une maison, un village, un pays entassé dans une valise à roulettes. Cet avenir meilleur auquel ils aspirent sera encore en suspens pendant des mois. Ils devront attendre la convocation pour leur audience. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié décidera de leur sort. Leur demande est-elle recevable ? Pourront-ils répondre aux critères spécifiques de l’immigration canadienne ? Plus de 50 % d’entre eux risquent un refus et une possible déportation. C’est cette confusion, cette détresse, cette précarité que Michel Huneault a captées sur ces visages que l’on ne voit pas. Pour préserver leur anonymat et éviter les préjugés, il découpe les silhouettes et applique sur l’image des morceaux de texture, couverture, sacs de couchage photographiés lors d’un projet précédent sur le mouvement migratoire de 2015 en Europe. Leur désarroi ainsi caché sous des couleurs vives n’enlève rien à l’émotion ressentie en regardant les 16 photos de sa série. Avec les extraits sonores, enregistrés en direct au moment des interceptions, impossible de ne pas être sensible, voire bouleversé par ce drame humain.

À sa manière, aussi modeste soit-elle, Michel Huneault nous rappelle cette réalité qui se déroule à quelques kilomètres de chez nous et les conséquences de ce grand déséquilibre planétaire. Ailleurs dans le monde, ce sont des milliers de personnes qui, comme au chemin Roxham, ont franchi des frontières pour chercher refuge. Entassés dans des camps de fortune, ils attendent qu’on les oublie.

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Durant son séjour chez Adélard, il poursuit sa recherche sur l’idée de frontière et de communauté, sur la géographie humaine et sur l’occupation du territoire, thèmes au cœur de tout son travail. La carte de la région dépliée sur la grande table, il prépare son parcours en zone frontalière. Il part à vélo, repère les bornes États-Unis/Canada érigées comme des stèles au milieu d’un champ, de la forêt ou au bout d’un cul-de-sac. Il rencontre les résidents de la région. Quelle impression ça fait de vivre ici à quelques kilomètres des frontières ? La conversation se poursuit, diverge, s’alimente d’anecdotes et de légendes. À son retour à la grange, il imprime certaines de ses photos prises en chemin sur des fiches 4’’ x 6’’. Il ajoute à son boîtier, notes, observations ou phrases recueillies au cours de ses conversations. C’est à la fois un outil de référence sur sa recherche dans la région et un objet artistique en soi, sobre et organisé. En découlera un dossier étoffé et une éventuelle exposition, témoignage d’un moment historique en cours.

Isabelle Hébert, octobre 2020.