EN RÉSIDENCE DU 14 mars au 24 avril 2022

JEAN-MICHEL LECLERC

D’hier à aujourd’hui

Lorsque l’artiste Jean-Michel Leclerc débarque au village pour une première résidence printanière, Frelighsburg est recouvert de neige comme en janvier et la grange d'Adélard est encore figée dans la froidure de l’hiver. Jean-Michel s’installe à la Grammar School, espace magnifique, lumineux et prometteur, situé au-dessus du bureau touristique adjacent à l’Hôtel de Ville. Par les grandes fenêtres, il contemple le village. On pourrait facilement se croire à la fin du XIXème siècle. Quelques bâtiments de style loyaliste ont résisté au temps. Au hasard de ses recherches dans les archives de la Société d’histoire de Frelighsburg, il trouve une photo qui en témoigne. Prise avec le même point de vue, elle nous ramène au début de la colonie. C’est justement ce qu’il aime, ce jeune trentenaire : revisiter l’histoire, travailler avec la mémoire, l’invisible et le temps qui passe. Aucune nostalgie dans sa démarche, simplement le désir de jeter un regard neuf sur ce qui a déjà existé, de transposer des fragments du passé dans la modernité. Passionné par l’évolution des mœurs et des coutumes, il se laisse surtout guider par l’intuition pour créer des objets simples dont les références sont inspirées du quotidien ou de l’utilitaire. Bien que ces objets soient sortis de leur contexte initial, ils nous semblent pourtant familiers, investis de présence et de vérité. Avec esprit et finesse, l’artiste s’amuse à détourner l’objet vers une nouvelle représentation, à réactualiser le passé pour mieux parler d’aujourd’hui.

Jean-Michel Leclerc est aussi intrigué par la science, la botanique, la géographie, le cinéma, la philosophie. Son métier d’artiste en arts visuels lui permet de conjuguer tous ses champs d’intérêt. Après un Baccalauréat en art visuel et médiatique à l’UQAM et une maîtrise à l’Université Concordia en 2018, l’artiste n’a jamais cessé d’avancer : bourses, distinctions, résidences, expositions collectives et en solo. Aussitôt arrivé à la Grammar School, il va et vient, partageant son temps entre production et réflexion. Tel un ouvrier, avec des gestes souvent répétitifs, il construit. Avec un esprit bouillonnant d’idées, il développe, imagine des projets à venir. Sur une grande table, des patrons découpés dans de la toile de coton brute, s’entassent. Une fois rembourrées et rassemblées, ses poupées forment une sculpture. Sur une autre table, un autre chantier : des emballages de chewing gum, datant des années 1920, qu’il a refait à l’identique, seront pliés, montés et placés dans un boîtier. Dans un autre coin de l’atelier, il termine des collages en papier couleur qui seront numérisés, puis imprimés par un complexe et laborieux procédé photographique. Les oeuvres finales offrent un aspect hors du temps. La texture et les teintes ocre, fauves, tabac, roussâtres et/ou ambrées, donnent d’abord l’impression qu’il s’agit de vieux objets. Mais, en se rapprochant, on constate qu'ils sont neufs. Ni trace, ni saleté ou déchirure. Ils ont été réalisés dans un esprit résolument contemporain. C’est ce que cherche l’artiste, créer un lien, une connivence entre hier et aujourd’hui, une sorte de clin d’oeil à l’éternité.

Voilà qu’enfin une première journée ensoleillée vient réchauffer le village et réveiller les coccinelles qui s’en donnent à cœur joie sur le rebord des fenêtres de la Grammar School. Elles sont des centaines à revenir à la vie. Il ouvre grand les fenêtres espérant qu’elles trottinent jusqu’à l’extérieur. Le bourdonnement de la rivière aux Brochets est si fort que les gros-becs errants, les cardinaux rouges, les juncos ardoisés, les jaseurs et les merles d’Amérique doivent piailler de plus belle pour se faire entendre. Le beau temps l’incite à sortir. Artiste-commissaire invité pour la prochaine exposition présentée par Adélard cet été en collaboration avec la Collection Loto-Québec, Jean-Michel Leclerc en profite pour se rendre à l’église Bishop Stewart Memorial de Frelighsburg où se tiendra l’événement. Sur la montée Garagona apparaît ce joyau néo-gothique en briques rouges et toit d’ardoises. À l’intérieur, les rayons du jour traversent les vitraux, éclairent la beauté exceptionnelle du lieu. Son regard aiguisé fait le tour de l’endroit, enregistre les détails. Il prend des mesures, évalue l’espace, planifie déjà la mise en place. En plus des œuvres qu’il a déjà sélectionnées dans la collection Loto-Québec, l’exposition présentera un corpus d’œuvres originales débuté ici, au cours de sa résidence chez Adélard. À son retour à Montréal dans son atelier, il puisera dans ses images et ses notes, dans son imaginaire vaste et ludique pour poursuivre sa production jusqu’au jour J, le 27 août prochain.

Isabelle Hébert