EN RÉSIDENCE DU 9 maI au 25 JUIN 2023

MILUTIN GUBASH

Chercher un sens au non-sens.

Au début des années 1970, les parents de Milutin Gubash quittent l’ex-Yougoslavie pour fuir le communisme. Il n’a que 3 ans, mais Novi Sad, cette ville où il est né, est inscrite dans sa mémoire. Légendes et souvenirs grappillés ici et là à ses parents, à ses tantes et cousins qui vivent encore là-bas, alimentent son imaginaire singulier. Il grandit à Calgary, capitale de l’Alberta, grand centre de l’industrie pétrolière et du rodéo, loin des rives du Danube et de la forteresse de Petrovaradin, juchée sur la falaise qui a elle seule, symbolise la richesse d’une histoire oubliée. Comme tous les enfants, il apprend rapidement le mode d’emploi pour intégrer la culture canadienne, mais son pays natal restera au cœur de ses fantasmes, de son identité et de son travail artistique. Dépaysé au bout du monde, l’errance de ces millions de réfugiés et d’immigrants, il la porte en lui.  Cette route, vers une identité nouvelle, il la sait parsemée d’espoir incertain, de nostalgie et de renoncement. Il pointe du doigt l’échec des systèmes économiques. C’est par cette lorgnette qu’il tente de comprendre le monde, ancien et moderne. Son œuvre s’est essentiellement développée autour de cette réflexion.

Crédit photo : Laurence Grandbois Bernard

Crédit photo : Laurence Grandbois Bernard

Jeune adulte, il se balade à travers les capitales canadiennes avant de s’installer à Montréal, à Joliette, puis à Québec pour finalement revenir à Montréal et s’installer sur le Plateau Mont-Royal où il a pris racine. Plutôt de type urbain que rural, durant son séjour à Frelighsburg, il découvre la vie à la fois paisible et animée d’un petit village. Son projet de résidence est une vidéo artistique qui, comme ses précédentes, est à connotation sociale, économique et politique. L’arrière-boutique de la quincaillerie, située au sous-sol de l’épicerie au cœur du village, sert de décor. Le scénario met en scène des employés qui terminent leur journée de travail et discutent, à bâtons rompus, du cercle vicieux du capitalisme. Après réflexion, ils constatent que finalement, ils sont complices de ce système économique axé sur la consommation. Les rôles sont interprétés par des gens de la communauté. Ces acteurs d’un jour; le célèbre Denis, grand manitou de la quincaillerie, Joanne, employée à l’épicerie et qui, dans une autre vie était actrice à Toronto, Émile Stone, étudiant à l’UQAM en théâtre et des amis d’Adélard de Cowansville se sont tous prêtés au jeu. Avec beaucoup de souplesse, d’ouverture et de bonne volonté, ils ont porté des masques loufoques pour entrer dans le monde fantaisiste, débridé, iconoclaste de l’artiste pluridisciplinaire Milutin Gubash. La vidéo sera présentée dans le cadre d’une exposition solo, prévue en 2024, au Centre d’art contemporain Optica de Montréal. Elle s’ajoutera à un imposant corpus de sculptures d’objets recyclés, reconstruites à la manière de l’artiste en y intégrant du mouvement, de l’éclairage ou encore des effets spéciaux.

Avec un esprit d’historien et de sociologue, l’artiste joue à déconstruire, à transformer des scènes du quotidien, à modifier les gestuelles familières. Avec humour et dérision, il détourne la réalité pour en proposer une autre. Il tient un miroir devant nos contradictions, notre irresponsabilité, notre inévitable déclin. Il n’hésite pas à se mettre lui-même en scène, voire à se ridiculiser pour illustrer ses propos. Il cherche un sens au non-sens. Il doute. Il n’affirme pas. Il se questionne à travers différents médiums, jongle avec plusieurs matières : la photographie, discipline avec laquelle il obtient une maîtrise en Beaux-arts à l’Université Concordia, la vidéo, la sculpture, la peinture, le narratif et la performance. Son univers est si particulier, insolite et atypique, que le travail de Milutin Gubash est difficile à définir. Il a fait l’objet de plusieurs articles dans différents médias spécialisés et même les experts en la matière ne saisissent pas toujours sa démarche. Alors qu’ils croient pouvoir la cerner, l’artiste va dans une tout autre direction. Il n’a pas de règle, pas d’étiquette. Il a ce sourire en coin qu’il affiche parfois. Il en dit plus que toutes ces théories.

Isabelle Hébert