EN RÉSIDENCE DU 14 juin au 24 juillet 2022

NICOLAS LAVERDIÈRE

Entre chimère et vers de terre.

Son imaginaire sillonne tous les sentiers, foisonne d’idées de grandeur. Tout est possible. Le matériel s’accumule au cas. Sa création a besoin d’espace, de hauteur, de ciel bleu à perte de vue. Il dessine les plans sur papier, mais sur le chantier, les mesures sont aléatoires. Il aime quand c’est précaire, un peu bancal. Pour lui, l’imperfection est synonyme de poésie. Il n’intellectualise pas sa démarche. Il agit à l’instinct, sans intentions préétablies, si ce n’est que de faire pencher la balance, juste ce qu’il faut, du côté de l’onirisme.

Matériaux, perceuse et seau à outils sont à portée de main à l’arrière de sa voiture. Dès son arrivée chez Adélard, on le voit juché sur un escabeau au beau milieu de l’allée bordée de grands arbres qui longent le cimetière catholique de Frelighsburg, rue de l’Église. Il travaille sur une installation architecturale temporaire en y mettant autant de cœur et d’ardeur que si elle était conçue pour durer. Il est dans le présent, investi dans le geste provisoire. Il fixe un faux plafond suspendu à l’aide de câbles attachés aux arbres. La structure s’élève, s’étend et transforme peu à peu l’endroit. La semaine suivante, une charpente de bois encadre la superficie du faux plafond. Une porte commerciale, fait main, simule l’apparence d’un vestibule vitré, une sorte de salle d’attente. Les ouvertures sur le paysage offrent de nouvelles perspectives, la possibilité de voir les choses autrement, sous un autre angle, une autre influence. Le chemin, au bout de l’allée, semble tout à coup mener ailleurs. C’est ce qu’il aime faire Nicolas Laverdière, convertir les lieux, jouer avec les perceptions.

Certains visiteurs d’Adélard se déplacent pour voir l’artiste en action. En jasant avec eux, il glane, ici et là, des bribes de la petite histoire du village… dont l’étrange disparition du buste en bronze d’Adélard Godbout, retrouvé 12 ans plus tard, en 2015, au fond d’un marais à Henryville. Influencé par le grand seigneur des lieux, les stèles, les anges et les fantômes avec qui il vit depuis des jours, il ajoute des chaises au décor. Ainsi cordées, elles donnent l’impression que des gens ont pris un numéro et attendent patiemment leur tour pour entrer au paradis. La semaine d’après, il construit à l’intérieur de la structure en bois, une descente aux allures de pierre tombale. La rampe invite cette fois le spectateur à descendre sous terre, à voir sous les tombes à quoi ressemble la mort. Les bottes et souliers, disposés en enfilade à l’entrée, indiquent qu’il y a déjà des gens en bas dans la fosse; des archéologues à la recherche d’ossements ou d’artéfacts, des scientifiques qui cherchent des explications ou de la parenté qui vient visiter leurs morts pour jaser un peu de la vie. L’imaginaire fait son chemin, se faufile entre chimère et vers de terre.

Au fil de sa résidence, son installation éphémère au cimetière n’a cessé d’évoluer. Influencé par le lieu, l’espace, la lumière, le matériel dont il dispose, il est resté ouvert à l’imprévu. Il s’est laissé guider par le vent, en gardant les pieds au sol. Il est feuille et racine. Natif de Québec, il a grandi et travaillé dans la Vielle Capitale jusqu’à l’an dernier. Bien qu’il vive maintenant à temps plein à Montréal, il cherche un atelier aux abords d’une rivière, à l’orée d’un bois ou dans une grange au milieu d’un champ. L’idée est lancée. La providence fera le reste. Il est en période d’exploration. Un voyage de l’autre côté de l’Atlantique se prépare. Il laisse les portes grandes ouvertes sur l’horizon. C’est sa première activité artistique solo sans ses complices des 25 dernières années, Jasmin Bilodeau et Sébastien Giguère du trio BGL. Ce collectif atypique et audacieux, un peu fou et totalement charmant, a représenté le Canada à la Biennale de Venise en 2015 et compte à son actif plus de 130 expositions. Bon nombre de leurs œuvres font partie de collections privées et institutionnelles : Musée des Beaux-arts du Canada, Musée des Beaux-Arts du Québec et Musée d’art contemporain de Montréal. En souvenir de ces années bouillonnantes et créatives, pendant sa résidence chez Adélard, Nicolas Laverdière s’appelle Jasmin Giguère, un clin d’oeil - hommage à ses deux amis et nom d’emprunt pour l’artiste en transition, à cheval entre hier et aujourd’hui.

Le dernier vendredi de sa résidence, l’artiste l’occupe à créer une nouvelle installation sur le terrain de baseball du village. L’œuvre d’une durée de 24 heures est mise en place juste pour le plaisir d’inviter les gens à frapper quelques balles qui rebondiront sur le grillage arrière (backstop) qu’il a orné de demi-lunes peintes d’un carré rouge. On a tout à coup l’impression qu’il s’agit plutôt de paniers de basket. Les joueurs sont confondus ! C’est aussi ce qu’il aime Nicolas Laverdière; faire sourire et jouer avec l’humour et l’absurde. Si ses œuvres ne durent pas, son passage chez Adélard, lui, restera dans notre imaginaire. Le cimetière ne sera plus jamais le même. Mine de rien, il nous a donné accès aux profondeurs de la terre, là où justement se trouve l’éphémère.  

Isabelle Hébert

Crédit photo : Laurence Grandbois-Bernard. Crédit photo images 3 et 4 : Nicolas Laverdière.